(Opinion du lecteur)-Nous, agronome et représentant d’ONG, nous tenons à rétablir certains faits suite à la parution de la lettre ouverte intitulée Des politiques publiques fondées sur la science pour une gestion des pesticides plus durable, écrite par Christian Overbeek, président des Producteurs de grains du Québec (PGQ).
Dans cette dernière, il demande au gouvernement du Québec de prendre en considération les impacts sur les productrices et producteurs de grains au Québec quand vient le temps de réglementer les pesticides et de baser leurs décisions sur la science. Ce qui semble irriter M. Overbeek, c’est que le gouvernement québécois, dans son projet de loi omnibus, a décidé d’élargir la prescription agronomique à l’ensemble des pesticides enrobant les semences au Québec. Il semble important de faire un petit recul historique pour comprendre le non-sens scientifique et éthique de cette inquiétude:
En 2019: Affaire « Louis Robert ». Un agronome du MAPAQ est licencié pour avoir dénoncé l’influence des lobbys des pesticides, particulièrement à l’intérieur d’une institution publique, le CEROM. Une étude de ce centre de recherche, qui remettait en cause l’utilité de l’utilisation de l’ensemble des semences enrobées d’insecticides, ne sera jamais publiée par l’organisation. M. Overbeek, alors président du conseil d’administration du CEROM et inscrit au registre des lobbys du Québec, est particulièrement pointé du doigt de par sa critique publique de ladite étude.
2019 : Le gouvernement du Québec instaure une prescription obligatoire pour l’enrobage de semences à trois pesticides de la famille des néonicotinoïdes, entraînant une diminution immédiate de leur utilisation.
2020 : Sortie de la fameuse étude sur les impacts des semences enrobées. L’étude, publiée dans une prestigieuse revue scientifique, révèle qu’ils sont inutiles d’un point de vue agronomique. En effet, aucun des 84 sites analysés n’a montré d’effet positif des insecticides sur le rendement.1
Depuis 2019, les enrobages de semences ont été remplacés par des insecticides de la famille des diamides, dont les impacts sur la faune aquatique pourraient être encore plus importants que ceux des néonicotinoïdes. C’est pour pallier à cette problématique que le gouvernement a pris la décision — basée sur la science donc — d’étendre la prescription à l’ensemble des semences enrobées. Précisons que l’enrobage des semences n’est pas interdit, et que si un agronome justifie leur utilisation d’un point de vue scientifique, l’agriculteur pourra en utiliser.
Il est donc consternant compte tenu des épisodes passés — de voir M. Overbeek réclamer que les politiques agroenvironnementales soient basées sur la science. Alors que le même représentant syndical alertait publiquement les autorités de pertes de rendement inévitables si l’on restreignait l’usage des néonicotinoïdes sur semences, la réalité a suivi la démonstration scientifique, et il n’en fut rien.
À l’encontre du principe de précaution
M. Overbeek dit qu’« une analyse plus approfondie est nécessaire quant au traitement des semences aux fongicides et leur impact sur la présence de ces fongicides dans l’eau ».
Pour lui , il n’y a pas de preuves suffisantes des impacts des fongicides dans l’eau et que, dans ce cas, il ne faut pas réglementer : c’est exactement le contraire du principe de précaution.
De plus, avec un peu de recherches et de bonne foi, M. Overbeek aurait pu trouver une revue de littérature récente qui explique, entre autres, que l’enrobage de semences de fongicides a plus d’effets négatifs sur les champignons bénéfiques (endophytes) que sur les champignons pathogènes pour les cultures étudiées, dont celles des grandes cultures2. De plus, la faisabilité agronomique de l’abandon des fongicides sur les semences n’est plus à démontrer, elle s’est concrétisée sur plusieurs entreprises, de toutes les régions, et depuis un bon nombre d’années. On peut par exemple utiliser un minimum de bonnes pratiques agronomiques pour réduire considérablement les risques de maladies : semer dans de bonnes conditions, user de la rotation des cultures, avoir une structure adéquate du sol, etc..
Le retrait des fongicides sur semences n’entraînera pas de perte de rendement, fera économiser des coûts aux producteurs, et réduira les impacts environnementaux. Ici encore, les objectifs agronomiques, économiques et environnementaux sont parfaitement compatibles, contrairement à la fausse croyance entretenue par M. Overbeek et entretenue par les vendeurs de pesticides.
Si M. Overbeek souhaite que les décisions politiques dans le dossier des pesticides soient basées sur la science, il devrait commencer par exiger que l’évaluation des pesticides soit basée essentiellement sur les études indépendantes et qu’elles soient toutes rendues publiques. Il pourrait aussi demander que les études d’impacts soient faites sur l’ensemble de la formule commerciale des pesticides (ex: Roundup) et non pas uniquement sur l’agent dit « actif » (ex: le glyphosate dans le Roundup) — ce qui minimise les impacts réels sur la santé et la biodiversité.
Comme M. Overbeek, nous sommes pour une plus grande autonomie des agriculteur.rice.s et souhaitons qu’ils aient les meilleurs conseils possibles de la part d’agronomes, mais des agronomes non liés à l’industrie des pesticides. On espère donc que M. Overbeek sera aussi vocal lorsque viendra le temps de défendre un projet visant à séparer la vente de la prescription agronomique, comme proposé par le gouvernement via le projet 41 en 2021.
Par Louis Robert et Thibault Rehn
Photo : Épandage de pesticides. (Photo Unsplash)