
Illustration de Jakobs Brueder, un Pélerin de Saint-Jacques – 1568
(Marjolaine Jolicoeur-L’Horizon juin 2016) – On marche 800 kilomètres vers Saint-Jacques-de-Compostelle en Espagne autant pour vivre une aventure spirituelle que par défi physique. En 1992, 10 000 personnes ont fait ce pèlerinage; en 2015, près de 260 000. Leur but: rejoindre la sépulture de Saint-Jacques dans la cathédrale de Compostelle.
Mais pour plusieurs, le voyage sur le Chemin est bien plus important que la destination finale. Portraits croisés de pèlerines et de pèlerins des Basques.
Servanne D’Auteuil de Saint-Jean-de-Dieu– Marcher pour s’éloigner du cancer
« Par ce voyage je voulais montrer qu’il est possible de vivre après un cancer », mentionne Servanne D’Auteuil, native de Saint-Jean-de-Dieu et travaillant auprès de personnes aînées à la Villa Dubé. Diagnostiquée d’un cancer de la gorge en 2001, elle retrouve sa forme physique après une opération et sept semaines de traitements intensifs. Sa fille, Sabine Dumais, lui propose alors d’accomplir un pèlerinage. « Je pensais qu’elle voulait que l’on se rende à Sainte-Anne –de-Beaupré », lance en riant la pèlerine qui s’estime non pas en rémission mais guérie.
En mai 2008, mère et fille partent pour Saint-Jacques-de-Compostelle après différentes activités pour amasser de l’argent pour la Fondation Annette Cimon Lebel qui vient en aide financièrement aux gens de la région souffrant du cancer.
Parties de Saint-Jean-Pied-de-Port dans le Pays basque français, elles marcheront pendant cinq semaines sur tout le Chemin et bien plus, se rendant jusqu’au cap Finisterre, 90km plus loin que la cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle.
« Quand tu marches en moyenne 25km par jour, souvent en silence, tu fais du ménage dans ta tête tout en étant complètement dans le moment présent. Ça devrait être cela la vie : vivre dans la nature, sans obligations, libre. » Tout au long du Chemin, la pèlerine s’est dite touchée par la beauté des paysages et des églises mais aussi par la pauvreté des villages espagnols où le temps semble s’être arrêté.
Physiquement, c’est difficile : « Nous avions mal aux pieds, aux genoux. Dans le milieu du voyage, alors qu’il pleuvait, on a eu un grand moment de découragement. Mais à la fin, on pleurait pour que le voyage ne finisse pas. »
Louise et Rolland Gaudreau de Saint-Mathieu-de-Rioux– Le cheminement d’un couple
« Le Chemin nous apprend à lâcher prise sur beaucoup de choses, nous montre qu’on ne peut pas tout contrôler dans la vie », s’exclament d’un même souffle Louise et Rolland Gaudreau, un couple natif de Montréal mais vivant à Saint-Mathieu de Rioux depuis plusieurs années.
Tous les deux à la retraite, lui après une carrière en tant que coach en développement humain et elle comme horticultrice, ils ont parcouru les Chemins de Compostelle six fois. Depuis Saint-Jean-Pied-de-Port mais aussi en partance de Tours et Vézelay en France ou de Genève en Suisse.
Leur premier chemin en 2005, où ils marchent pendant 40 jours, s’avère marquant physiquement, surtout pour Louise : « Un vrai chemin du calvaire », avoue la pèlerine qui se rappelle avec douleur ses ampoules aux pieds, ses maux de dos et sa fatigue. Souvent durant le périple, elle songe à abandonner.
« On rencontre beaucoup de souffrances sur le Chemin. Plusieurs marchent pour retrouver la santé ou celle d’un membre de leur famille. Souvent, les gens pleuraient dans nos bras », ajoute Rolland pour qui ce premier chemin s’est avéré beaucoup moins difficile physiquement que pour sa compagne. Le coach n’était jamais loin pour encourager Louise à continuer, avec l’aide de Saint-Jacques qu’il invoque souvent!
Pour oublier ce premier et difficile pèlerinage, le couple fera donc au cours des années suivantes plusieurs voyages sur le Chemin, effectuant même l’aller et le retour en 84 jours, ce que peu de pèlerins font.
« En marchant, tu te déconnectes des choses superficielles, cela t’enseigne le détachement. Tu n’as qu’un sac à dos à t’occuper, c’est la vraie liberté. Tu es dans le ici et maintenant. Et puis avec les autres pèlerins tu vas rapidement aux choses fondamentales. Les conversations sont intenses, peu importe la religion, le statut social ou la nationalité. On dépasse les apparences, on devient tous égaux sur les Chemins de Compostelle », révèle le couple ayant maintenant des amis partout dans le monde.
Pas facile de rentrer de ces pèlerinages, le Chemin vous habite longtemps. Louise et Rolland Gaudreau ne rêvent qu’à repartir sur le Chemin des étoiles, en partant cette fois-ci du Mont Saint-Michel en France.
Gabrielle Rousseau de Trois-Pistoles – Marcher pour mieux se retrouver
« Compostelle m’a permis de me reconnecter avec moi-même », indique Gabrielle Rousseau tout en reconnaissant que la magie du Chemin « ne se fait pas nécessairement pendant le pèlerinage mais après le retour à la réalité. »
Cette Pistoloise de naissance terminait son université et voulait revenir vivre à Trois-Pistoles pour fonder son entreprise en tant que rédactrice, réviseure et traductrice. « À 26 ans, j’étais dans une période charnière de ma vie, le timing était bon pour marcher vers Compostelle. »
Le moment pour effectuer ce premier voyage en solitaire était cependant risqué : en Espagne au mois de janvier la température est assez rude, avec ses précipitations de neige et de pluie. Beaucoup d’humidité aussi dans les refuges sans chauffage.
La pèlerine marchera pendant cinq semaines, huit heures par jour, malgré – elle aussi ! – ses maux de pied et le froid. « Cela me prenait une bonne heure de marche pour me réchauffer. Tous les jours, je me demandais ce que je faisais là. Oui, c’est dur physiquement, mais on découvre aussi ce dont notre corps est capable, surtout que je ne suis pas une grande sportive. »
Peu de monde sur la route l’hiver en Espagne et la pèlerine traverse de nombreux villages fantômes abandonnés pour la saison. Cependant, la solidarité est grande entre les marcheurs, la nourriture est bonne, le vin et la bière aussi. Au bout de dix jours de marche, intense moment de découragement : « Il y a eu une tempête de neige, j’étais trempée de la tête aux pieds, j’ai pleuré toute la journée! ».
Incapable de continuer et près d’abandonner, elle est invitée chez des villageois. « Les Espagnols sont incroyablement généreux! », se souvient Gabrielle. Ragaillardie après un temps de repos au sec, la pèlerine s’équipe d’un poncho pour se recouvrir et se protéger complètement de la pluie. « Mais mon corps commençait à demander du répit, lorsque je suis arrivée le vendredi 13 février à la cathédrale de Saint-Jacques. »
Ce qu’on retire de cet exploit à la fois physique et moral? « J’ai dépassé beaucoup de mes peurs. J’ai surtout pris conscience que pour être heureuse, je n’ai pas besoin de beaucoup de biens matériels. Le Chemin t’aide à te recentrer sur ce qui est vraiment essentiel à ton bonheur dans la vie ».
Une randonnée initiatique
Il y a autant de raisons qu’il y a de personnes qui se lancent sur le chemin de Compostelle. Cette longue randonnée initiatique apparaît cependant pour plusieurs comme une expérience décisive dans leur vie. Pour preuve, le nombre incalculable de documents réalisés par des pèlerins racontant leur chemin.
Après leur retour, Louise et Rolland Gaudreau ont donné une centaine de conférences sur l’importance de croire en ses propres rêves et surtout de les réaliser. Rolland a rédigé un livre En chemin vers Compostelle .
Sabine Dumais, la fille de Servanne d’Auteuil, a elle aussi raconté son périple lors de conférences.
Avec son cellulaire, Gabrielle Rousseau a pris des dizaines de clichés ensuite retravaillés sur Instagram pour créer un récit photographique de son pèlerinage. On a pu voir son exposition 7 kg de courage – le poids de son sac à dos – dans différentes municipalités du Bas-Saint-Laurent. L’exposition est présentement visible dans l’espace café du BeauLieu Culturel du Témiscouata et ce jusqu’au 8 septembre.