
NDLR-L’Horizon des Basques ouvre son site Internet à un groupe d’étudiants au baccalauréat en biologie à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR). Dans le cadre d’un cours, ils doivent communiquer à la population un enjeu de conservation d’importance. L’article signé par les étudiants traite de l’écologie des tourbières et de l’histoire de l’exploitation de celles-ci au Bas-Saint-Laurent.
Qu’est-ce qu’une tourbière ? Qu’est-ce que la tourbe ?
Les tourbières sont des milieux humides caractérisés par la présence de la précieuse tourbe. La tourbe est le résultat de la décomposition de la sphaigne, une plante qui domine la végétation des tourbières. En moyenne une accumulation de 5 à 10 centimètres de tourbe prend plus de 100 ans. L’une des caractéristiques principales de la sphaigne est sa capacité à retenir l’eau. Deux phénomènes sont principalement liés à la création des tourbières. Le comblement a lieu dans les cours d’eau peu profonds et la végétation prend les dessus sur ceux-ci. La paludification a quant à elle lieu lorsque l’occurrence et la quantité de précipitation sont élevées et que le drainage du sol est mauvais. La capacité de retenir l’eau de la sphaigne est dans ce cas primordiale.
C’est dans la région du Bas-Saint-Laurent que l’on retrouve le plus grand nombre de tourbières abandonnées à la suite d’une exploitation. Celles-ci font l’objet d’une exploitation depuis la première moitié du 20e siècle. Déjà, en 1965, 21 tourbières étaient exploitées dans la MRC de Rivière-du-Loup, une dans le comté Témiscouata, 16 dans le comté de Rimouski, trois dans le comté de Matane et finalement six dans le comté de Kamouraska. En 1999, le Bas-Saint-Laurent produisait plus de 58 % de la tourbe de l’ensemble du Québec. En 2019, c’est près de 50 % de la récolte de la province qui est effectué dans la région.
À l’époque, en plus d’être utilisée comme litière dans les étables et les porcheries, la tourbe était principalement exploitée à des fins horticoles et agricoles afin d’améliorer la qualité des sols. Alors qu’elle est utilisée à d’autres fins tel que la fabrication de filtres, elle est toujours utilisée en horticulture ainsi qu’en agriculture. La méthode employée afin d’extraire la tourbe se faisait de façon manuelle jusqu’à la fin des années 60. Pour ce faire, les travailleurs devaient en premier lieu drainer l’eau contenue dans la tourbière. Ensuite, la récolte commence en retirant des blocs de tourbe. Les blocs étaient empilés sur les terre-pleins dans le but de les sécher. Ces blocs étaient transformés puis emballés avant d’être expédiés.
De nos jours, l’exploitation de la tourbe se fait par aspiration. Des tracteurs munis d’aspirateur géant retirent une fine couche de tourbe. Cette méthode nécessite un drainage important de la tourbière afin de permettre le passage de la machinerie. Ainsi, de vastes champs sont séparés par des canaux de drainage espacés d’environ 30 mètres. Ce type d’exploitation peut durer plusieurs années à un même endroit.
La conservation et la restauration de ces écosystèmes représentent un enjeu de premier ordre puisqu’elles rendent une multitude de services écologiques importants. Les tourbières sont d’une importance majeure dans le cycle du carbone. Ne représentant seulement que 3 % de la surface terrestre, elles constituent tout de même l’un des plus importants puits de carbone de la planète. En effet, une grande quantité du carbone mondial est stockée dans les tourbières de l’hémisphère boréal. Ainsi, la conservation des tourbières se trouve à être une arme efficace en contexte de changement climatique. De plus, ce sont des écosystèmes de grande importance pour la diversité biologique. En effet, on retrouve dans les tourbières de nombreuses espèces végétales spécifiquement adaptées à celles-ci. Plusieurs de ces plantes portent des fruits particulièrement convoités tels que le bleuet, la canneberge, la camarine et le raisin d’ours. D’autres comme le thé des bois et le thé du labrador ont des propriétés gustatives et médicinales intéressantes. Finalement, il suffit de se rendre sur une tourbière pour apprécier l’aspect visuel et la singularité de certaines plantes comme le kalmia, la sarracénie pourpre et le rhododendron.
Les principales activités anthropiques ayant affecté ces écosystèmes en plus de la récolte de tourbe sont les coupes forestières et l’agriculture. Certaines de ces pratiques ont des impacts irréversibles. C’est le cas de l’agriculture qui nécessite de retirer la tourbe afin d’exposer le sol minéral. De plus, les changements hydrologiques causés par les terres agricoles environnantes des tourbières provoquent une augmentation du couvert forestier et une diminution de la surface tourbeuse. De tous les sites exploités, ce sont ceux exploités à l’aide de la méthode traditionnelle qui permet une meilleure recolonisation de la végétation. Cependant, le pourcentage de sphaigne y est très faible soit environ 10 % de la superficie. Cette proportion y est encore plus faible dans les secteurs exploités par aspirateurs soit 1 %. Or, rien n’est perdu puisque peu de sites dans la région ont été endommagés de manière irréversible et ils ont toujours la possibilité d’être restaurés.
Afin de les restaurer, on réintroduit les plantes de tourbière et l’on effectue un « remouillage du site ». Le Guide de restauration des tourbières mis à jour en 2020 préconise la méthode de transfert de couche muscinale (MTCM) développée par le Groupe de recherche en écologie des tourbières (GRET) de l’Université Laval pour toutes les restaurations de tourbières à sphaignes. Cette méthode consiste en une réintroduction de plantes de tourbière et est suivie d’un « remouillage ». L’ancienne exploitation est aplanie et l’on récolte des plantes sur une tourbière saine. Ensuite, les plantes sont répandues sur le site et recouvertes de paillis. Pour compléter le tout, les canaux de drainage sont refermés et la tourbière est remouillée. Cette technique permet de réintroduire plus de 80 % des espèces qui sont prélevées dans un milieu de référence et limiter à 3 à 6 % les espèces non associées aux tourbières. Cette méthode a fait ses preuves sur plus d’une centaine de projets de restauration au Canada et à l’étranger. Il a été démontré par le GRET et des chercheurs de l’Université de McGill qu’elle permet à une tourbière restaurée depuis 15 ans de recommencer à capter et séquestrer du carbone.
Bien qu’il s’agisse d’un processus complexe et de longue durée, la restauration des tourbières est l’un des outils indispensables à leur conservation. À cet effet, le GRET travaille depuis des années à l’étude des tourbières et leur restauration. Alors que l’exploitation de la tourbe n’est pas en vue de disparaitre, les travaux du GRET permettent d’envisager que ces activités industrielles peuvent être soutenables au plan écosystémique.
Par Robert-Olivier Gauvin, Marianne Joubert, William Perreault et Julien Salvas, étudiants au baccalauréat en biologie à l’Université du Québec à Rimouski
Photo : Machinerie spécialisée servant à récolter la tourbe prise par M. Poulin parue dans le chapitre 23 du livre Écologie des tourbières du Québec-Labrador. (Photo courtoisie)